La charmante ville médiévale de Brixen, dans le Tyrol du Sud (la partie germanophone de l’Italie près de la frontière autrichienne), joue un rôle important dans l’histoire de l’Église et dans l’histoire de la théologie. Le théologien allemand Nicolaus Cusanus en fut nommé évêque en 1450, au plus fort de la controverse conciliariste, un moment déterminant dans l’élaboration de la doctrine catholique sur la papauté. En 1967, le théologien et futur pape Joseph Ratzinger commença à y passer des vacances. En 1984, Ratzinger (aujourd’hui cardinal) a mené sa première interview provocante avec le journaliste italien Vittorio Messori, qui sera plus tard connue sous le nom de son manifeste et qui a servi de base au livre à succès Le rapport Ratzinger. (J’enseignais sur le campus de Brixen de l’Université libre de Bozen lorsque Ratzinger a été élu pape le 19 avril 2005, où des célébrations ont éclaté dès l’annonce.) Brixen abrite également le Collège philosophique et théologique de Brixen/Bressanone. Géré par le diocèse de Bozen-Brixen/Bolzano-Bressanone, le collège a une longue histoire (et une magnifique bibliothèque) datant de l’époque de Cusanus. Depuis 1991, elle est un centre académique de droit pontifical, lui permettant de délivrer le diplôme académique de baccalauréat en théologie. Il représente une grande partie du paysage universitaire européen et contribue à faire du Tyrol du Sud un point de rencontre des cultures italophone et germanophone.
Brixen/Bressanone fait l’actualité cet été en raison du cas curieux de Martin Lintner, professeur de longue date, récemment élu par la faculté comme doyen du Collège philosophique et théologique, où il est professeur de théologie morale et spirituelle depuis 2009. Juin, Brixen Mgr Ivo Muser (nommé par Benoît XVI en 2011) annoncé que le Dicastère du Vatican pour la Culture et l’Éducation n’avait pas accordé de nihil obstat (pas d’objection) à l’élection de Lintner. La demande de nihil obstat a été envoyé au Vatican fin novembre 2022. Après six mois sans réponse, Mgr Muser, en visite à Rome, s’est arrêté au Dicastère de la Culture et de l’Éducation pour s’enquérir. De là, il fut envoyé au Dicastère pour la Doctrine de la Foi, où il apprit qu’une décision avait effectivement été prise en janvier. C’était une décision négative, et elle avait été faite sans rechercher le dialogue avec l’évêque de Lintner ou avec Lintner lui-même, et sans explication transparente des raisons.
Il s’est avéré que le Vatican a émis son démenti à cause de certaines « publications du professeur Lintner sur des questions de moralité ». En accord avec Lintner, prêtre et membre de l’Ordre des Servantes de Marie, Mgr Muser a renoncé au droit de recours hiérarchique contre cette décision. La faculté du collège doit donc élire un nouveau doyen. L’évêque a ainsi prolongé le mandat de l’actuel doyen, Alexander Notdurfter, au-delà de la date de fin prévue du 31 août 2023. Le Vatican a explicitement déclaré que le refus du nihil obstat n’affecte pas l’autorisation d’enseigner de Lintner.
L’incident a suscité déclarations de solidarité avec Lintner de la part de théologiens allemands et italiens, de plusieurs associations théologiques et d’institutions publiques dans lesquelles Lintner est expert en éthique. Lintner lui-même a choisi une voie non conflictuelle, mais il n’est pas resté silencieux. Le 3 juillet, il a publié un déclaration c’était ferme et dialogique à la fois :
La décision du Vatican à mon encontre a conduit de nombreux fidèles non seulement à l’incompréhension, mais aussi à un sérieux mécontentement. Cela jette le doute sur le succès de la synodalité. Je suis également mécontent de voir comment se confirme l’attitude critique, voire négative, des autres à l’égard de l’Église. Ceux qui me connaissent savent que j’ai conscience d’appartenir à l’Église et connaissent ma loyauté constructive et critique envers le magistère ecclésial.
Lintner ne fait pas valoir son point de vue cause célèbre, mais il la présente plutôt comme une question ecclésiale. Pour ceux qui le connaissent, cela n’est pas surprenant et correspond tout à fait à son caractère. Il est un expert de premier plan en éthique sexuelle et en éthique environnementale et animale, et il a dirigé des travaux de théologiens locaux, nationaux et internationaux. les associations, notamment l’Association européenne de théologie catholique, l’Association internationale de théologie morale et d’éthique sociale et le Réseau international des associations de théologie catholique. Il n’est pas un universitaire individualiste et élitiste cherchant à semer le trouble. Il incarne le théologien catholique qui connaît le rôle de la théologie dans accompagnant le magistère en réfléchissant à des questions d’actualité et en écoutant les différentes voix de l’Église et de la culture.
Mais le 6 juillet, quelques jours après la déclaration de Lintner, Mgr Muser publia un nouveau déclaration: la décision de refuser le nihil obstatbien qu’il ait été communiqué par le dicastère vatican chargé des universités catholiques, dépendait de l’obtention de l’approbation du autre dicastères. Il est ainsi apparu que le Dicastère pour la Doctrine de la Foi, anciennement connu sous le nom de Saint-Office, avait également joué un rôle dans cette affaire. À leur tour, les actions du préfet du Dicastère pour la culture et l’éducation, le cardinal José Tolentino de Mendonça (nommé par François au Portugal et auteur primé d’essais, d’écrits spirituels et de poèmes traduits dans de nombreuses langues), et du préfet du Dicastère pour la Doctrine, Luis Francisco Ladaria Ferrer (cardinal jésuite d’Espagne et professeur de longue date à l’Université pontificale grégorienne) attirent également l’attention.