En février 2023, des dirigeants religieux du monde entier se sont réunis aux Émirats arabes unis pour célébrer l’ouverture de la Maison de la famille abrahamique, un vaste complexe multiconfessionnel comprenant une mosquée, une église et une synagogue. L’inauguration officielle a eu lieu exactement quatre ans après le voyage du pape François à Abou Dhabi pour signer un document sur la fraternité humaine avec le grand imam Al-Tayeb d’Al-Azhar, un événement qui a marqué un point culminant dans la diplomatie religieuse internationale.
Mais aujourd’hui, un an plus tard, la guerre entre Israël et le Hamas a créé de nouveaux défis pour le dialogue abrahamique de haut niveau ainsi que pour la diplomatie vaticane.
Le 7 octobre 2023, peu après le massacre d’environ 1 200 civils en Israël, Al-Azhar, l’un des principaux centres mondiaux d’enseignement islamique, a salué les combattants du Hamas morts dans l’attaque comme de « grands martyrs de la Palestine ». Depuis lors, l’Imam Al-Tayeb et Al-Azhar ont rejoint un chœur croissant de dirigeants musulmans critiquant l’attaque aérienne et la guerre terrestre d’Israël à Gaza comme une campagne de génocide contre le peuple palestinien. Alors que l’offensive israélienne est en cours et que le nombre de victimes civiles augmente, le secrétaire d’État du Vatican, Pietro Parolin, a dénoncé « l’attaque terroriste » du Hamas et a appelé à une réponse proportionnelle. Fin octobre, le pape François a déclaré au président israélien Isaac Herzog lors d’un appel téléphonique privé qu’il était « interdit de répondre à la terreur par la terreur » – un sentiment qu’il a ensuite répété en public. En décembre, le grand rabbin israélien David Lau a reproché à François d’associer Israël au terrorisme, insistant sur le fait que « nous faisons tout notre possible pour prévenir et réduire les dommages causés aux civils ». Les dirigeants juifs du monde entier ont rejeté avec véhémence les accusations de génocide, les qualifiant d’à la fois fausses et antisémites.
La guerre entre Israël et le Hamas illustre la fragilité de la diplomatie interconfessionnelle. Quelle que soit sa signification théologique, culturelle et politique, le dialogue interreligieux de haut niveau a un impact limité dans un contexte de revendications territoriales conflictuelles, de griefs historiques rivaux et de violences brutales. Les limites de la diplomatie interconfessionnelle sont particulièrement évidentes dans le contexte d’Israël et de la Palestine, où les différences religieuses et politiques se sont historiquement renforcées. Les dirigeants juifs, musulmans et chrétiens adhèrent tous au monothéisme et considèrent Abraham comme un ancêtre commun, mais ils apportent des perspectives très différentes à la région. Pour les juifs religieux, la terre d’Israël est un héritage divin. La solidarité musulmane avec les Palestiniens est renforcée par le statut sacré de Jérusalem dans la tradition islamique. Les dirigeants chrétiens expriment souvent à la fois leur sympathie pour les coreligionnaires palestiniens et reconnaissent Israël comme une patrie juive dans le contexte historique du crime de l’Holocauste perpétré dans une Europe à majorité chrétienne.
Pour François, qui a fait de la compréhension interreligieuse et interculturelle une caractéristique de sa papauté, la guerre entre Israël et le Hamas représente un défi particulièrement difficile. Depuis qu’il est devenu pape en 2013, il a appelé à une « culture de la rencontre » marquée par le dialogue et la coopération au-delà des divisions religieuses, nationales et idéologiques. L’un des principaux accents de l’approche du dialogue de François a été de rechercher des points de contact spirituels et théologiques avec d’autres traditions, mais il insiste sur le fait que le dialogue interreligieux doit également englober les aspects pratiques de l’accompagnement et ne pas reculer devant les questions qui divisent. « Rencontre », avec sa racine latine contra (contre, opposé), implique une volonté de reconnaître et d’aborder la différence. Un deuxième accent de son approche du dialogue est l’insistance sur l’humanité globale comme cadre de référence. Laudato si’, par exemple, a appelé la communauté internationale à s’unir pour lutter contre la crise climatique. Dans Fratelli tuttiFrançois a souligné nos obligations les uns envers les autres face à d’autres défis mondiaux, de la guerre et du terrorisme aux réfugiés, en passant par les inégalités sociales et la pandémie de Covid-19.
Ces deux éléments de l’approche de François en matière de dialogue interreligieux – l’ouverture théologique et un horizon mondial – ont joué un rôle central dans la sensibilisation des musulmans qui a abouti au Document de 2019 sur la fraternité humaine et à l’approbation par le Vatican du projet de Maison de la Famille Abrahamique. Le voyage historique de François au Caire et à Al-Azhar en 2017, où il a approfondi ses relations avec Al-Tayeb, s’est avéré un moment critique. « Sans céder à des formes de syncrétisme facile », a-t-il déclaré à son auditoire à Al-Azhar, « notre tâche est de prier les uns pour les autres, d’implorer de Dieu le don de la paix, de nous rencontrer, d’engager le dialogue et de promouvoir l’harmonie dans l’esprit de coopération et d’amitié. François a réitéré ces convictions lors de voyages ultérieurs aux Émirats arabes unis, au Maroc, en Irak et à Bahreïn. L’expression la plus frappante de son ouverture à l’Islam est peut-être l’affirmation remarquable contenue dans le Document sur la Fraternité humaine selon laquelle « le pluralisme et la diversité des religions, des couleurs, des sexes, des races et des langues sont voulus par Dieu dans sa sagesse » – une expression idée exprimée directement dans le Coran mais pas dans la Bible. Fratelli tutti fait de multiples références positives au document et à Al-Tayeb personnellement, un geste interreligieux sans précédent dans une encyclique.